Un passé pas si lointain :
les cités du Bois de Sapins et du Tour de Ville ..............
1919, les populations reviennent à Soissons, détruite en grande partie. Le relogement est assuré par la construction, à la hâte, de plusieurs cités de semi-provisoires, près de 2000 logements.
Un groupe d’anciens habitants du quartier Bois de sapins : Tour de ville, scolarisés durant les années 45/60, s’est retrouvé en septembre et a organisé une petite expo : c’est l’occasion d’évoquer ce quartier à travers les notes prises lors d’un interview de Mme Jardez, conservé aux archives municipales de Soissons.
Mme Jardez est née dans le quartier ; une fois mariée, elle y revient avec son mari et quittera la cité en 1962, démolition entre 1970 et 1973, pour laisser la place au quartier de Presles.
« La cité fut édifiée sur un terrain appartenant à l’origine au grand Séminaire ; planté de conifères, on l’appela naturellement le Bois de sapins.
Les rues n’avaient pas de nom puisque la cité était provisoire, le quartier était découpé en allées A, B, C… Les maisons portaient un numéro. Il n’y avait pas de trottoir, les routes n’étaient pas goudronnées, on pataugeait sans cesse dans la boue, car le terrain avait été remblayé avec du sable gris.
A cette époque, seuls 3 sapins avaient résisté aux bombardements de 14-18.
Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’un près de l’église de la résurrection, unique spécimen d’une essence très rare qui ne pousse pas dans notre région.
A l’intersection de l’allée B, s’élevait une immense statue de la Vierge Marie. Dressée sur un socle de pierre de nombreuses années auparavant par le Séminaire, elle fut renversée par un camion qui venait livrer le charbon.
Les maisons
Elles étaient toutes semblables. Bâties en semi dur entre les années 1919 et 1920, elles étaient couvertes de tuiles. Il n’y avait pas de serrures aux portes, pas de plafond : le papier goudronné le remplaçait, les planchers étaient rudimentaires. [NDLR : Nous pensons même que le sol était en ciment brut]. Elles comprenaient toutes deux ou trois pièces : une cuisine et une ou deux chambres. Pas d’électricité (les parents de Mme Jardez l’avait fait installer à leurs frais en 1942), pas de chauffage, pas d’eau courante, seulement une pierre et même pas d’évier, pas d’écoulement d’eau. Un trou creusé dans le jardin recueillait les eaux usées. Ce trou était en permanence recouvert d’une tôle pour éviter que les enfants n’y tombent.
Pas de sanitaires et encore moins de salle de bains. Les habitants avaient creusé leur cave et leurs sanitaires dans le sol sablonneux.
On s’éclairait donc à la lampe à pétrole, et été comme hiver, la cuisinière à bois ou à charbon fonctionnait pour se chauffer, faire bouillir l’eau ou préparer les repas. Bien entendu il y faisait froid l’hiver, et torride l’été. Pour avoir une maison accueillante, on peignait les murs après les avoir tapissés de papier journal.
Néanmoins, chaque maison avait un jardin de 1 à 2 ares où l’on faisait pousser des légumes. On avait également construit des poulaillers et des clapiers pour élever volailles et lapins, car la plupart des habitants n’étaient pas très riches. Pour cacher toutes ces constructions, plus ou moins inesthétiques, on faisait pousser des fleurs et des haies d’arbustes isolaient chaque maison de la voisine.
La vie dans la cité
400 familles comptant de 2 à 22 enfants logeaient dans 127 maisons. La plupart des enfants était scolarisée au Tour de Ville. Les hommes étaient tous des ouvriers, il n’y avait pas de chômage à cette époque. Ils se levaient de bonne heure pour aller travailler en usine, et se couchaient de bonne heure.
Pour se détendre, ils allaient aux morilles dans les bois tous proches, aux escargots, à la pêche. Les enfants jouaient au football dans la plaine Maupas, « le Royaume des enfants ».
L’été, tout le monde se retrouvait dehors, et se promenait sur le champ de tir. A la fin de la journée, on remplissait les baquets d’eau et on baignait les enfants devant la porte.
Puis l’Entente bouliste fut créée, et une Maison des Jeunes ouverte [la “Maison Familiale du Bois de Sapins”].
Les femmes allaient chercher de l’eau à la fontaine (il y en avait une à chaque coin de rue, que l’on emmaillotait dans des chiffons ou de la paille en période de gel), y rinçaient leur linge, et les fontaines avaient alors la même vocation que les lavoirs d’autrefois : lieu de rencontre et d’échanges, c’était la gazette du quartier, là où tout se disait, se savait.
Entraide et solidarité
Tous se connaissaient et formaient une grande famille. Le trait caractéristique du quartier était l’entraide, la solidarité, une profonde amitié et le sentiment d’appartenir à un même groupe. Les joies comme les peines étaient partagées. Lorsqu’on avait besoin du médecin, on allait le chercher, on restait près de sa voiture pour la surveiller (car il n’était pas rassuré). Au moment des accouchements, on se partageait le travail : les enfants chez l’une, les vêtements fournis par les autres, on faisait les courses…
Plusieurs commerçants s’étaient installés dans le quartier (MM. Collier, Dehu, Coette, Marques). Comme tout le monde se connaissait, les épiceries-buvettes avaient ouvert des carnets de crédit, et lorsque la paye arrivait, on allait régler les dettes. Le boulanger, le charbonnier et l’épicier passaient également à domicile. Monsieur Jalladeau s’occupait des relations avec la mairie, et fut considéré comme le maire du Bois-de-Sapins.
Les voitures n’étaient pas nombreuses, et tous se déplaçaient en bicyclette. Ils n’étaient pas riches, mais savaient vivre. Ils étaient heureux.
Pendant la seconde guerre mondiale, le Bois-de-Sapins eut ses résistants. Nombreux sont ceux qui furent fusillés à Carlepont ou déportés.
Les trains qui emmenaient les déportés au camp de Royallieu à Compiègne passaient à petite allure sur la ligne de chemin de fer, tous les jours entre 12h et 14h. Bravant les soldats allemands qui montaient la garde sur le toit des wagons, on essayait de passer des miches de pain aux prisonniers, qui nous remettaient des bouts de papier avec l’adresse de leur famille que l’on prévenait de leur arrestation…
La disparition de la cité
La construction du quartier de Presles amena petit à petit la démolition de la cité.
Entre 1965 et 1973, les habitants furent relogés dans des immeubles nouvellement construits (Saint-Crépin et Presles).
Mais là, l’adaptation fut très difficile. Les racines furent coupées ; non habitués au confort moderne et à ses limites, ils regrettaient leur liberté, leur jardin, leurs voisins.
Les loyers de plus étaient très chers. Ici, plus d’ambiance, plus de solidarité. Chacun vit dans son coin. On est triste, nostalgique, on regrette le bon vieux temps, et lorsque l’on se retrouve entre vieux du Bois-de-Sapins, on se souvient… »